15 juin 2025

Gennevilliers – Cité du Luth

par Marie-Hélène F.

Nommée professeur d’anglais dans un collège d’une cité réputée difficile, Marie surmonte les réflexes appris de défiance et de peur. Elle se dresse contre les clichés et apprend à porter un autre regard sur les visages de ses élèves …

Le texte de Marie-Hélène F.

Marie, 25 ans, avait été convoquée dans le bureau du principal du petit collège de l’Aisne où elle exerçait le métier de professeur d’anglais moyennant 220 kilomètres par jour de voiture, 5 jours par semaine. Il la fit asseoir et lui annonça qu’elle avait obtenu sa mutation, mais qu’elle allait sûrement s’en mordre les doigts car elle était nommée à Gennevilliers, banlieue très mal fréquentée où elle aurait forcément des classes de sauvages et de délinquants ne parlant même pas français. Malgré l’antipathie profonde que Marie vouait à ce monsieur, elle lui aurait presque sauté au cou à cette annonce : elle allait enfin travailler à une distance raisonnable de son domicile parisien ! C’était ça l’essentiel !

De retour chez elle, son excitation retombée, elle considéra son document d’affectation en repensant, malgré elle, aux paroles de ce maudit principal : sauvages, délinquants, ne parlant pas français…. Bien qu’ayant perçu le racisme latent de ces propos, elle ne put s’empêcher de s’interroger : et si c’était vrai ? Y survivrait-elle ?

Jusqu’à ce jour, elle ignorait jusqu’à l’existence de Gennevilliers. Elle apprit qu’il s’agissait d’une commune de banlieue située dans le nord du 92 (en 1984, on ne disait pas encore neuf deux), et qu’elle était nommée au Collège Guy Môquet au cœur de la cité du Luth. Elle décida de s’y rendre avant la rentrée de septembre pour y faire du repérage.

Quand à la descente du bus 235, Marie pénétra dans la cité du Luth, elle n’en crut pas ses yeux : des barres d’immeuble d’une vingtaine d’étages se succédaient, parallèles, sur 300 mètres de long ; l’une d’elle dominait un collège bleu et vert légèrement en contrebas. Marie n’avait jamais imaginé qu’aux portes de Paris puissent exister des quartiers comme celui qu’elle découvrait, aussi hostiles, dystopiques, angoissants… Comment des êtres humains pouvaient ils vivre ainsi empilés côte à côte dans un tel enchevêtrement de béton nu ? Une bouffée d’angoisse la saisit. Tous les clichés sur la banlieue se bousculèrent dans sa tête : drogue, agression, vol, viol, violence, gang. Comment allait-elle survivre ? Marie en avait vu suffisamment pour l’instant. Il lui restait deux mois et demi avant la rentrée, elle verrait bien en septembre, de toute manière elle n’avait pas le choix, et elle reprit le 235 dans l’autre sens.

Le jour de la rentrée, la boule au ventre, Marie allait accueillir sa première classe, une classe de 6ème qui l’attendait bruyamment dans le couloir. Elle les fit entrer, et vit s’installer une petite trentaine de garçons et filles, tous ou presque d’origine étrangère, contrastant de manière saisissante avec les élèves de la banlieue de Soissons où elle exerçait jusqu’alors, tous d’un blanc monotone. Marie prit son courage à deux mains et scruta les visages tournés vers elle. Elle y vit la jeunesse, l’insouciance, la spontanéité, la gravité, la fragilité, la confiance ; et tout à coup toute son angoisse disparut et ce fut le début d’une aventure humaine exceptionnelle qui allait durer 10 ans.

 

Références

  • Thème de l’atelier au cours duquel a été écrit ce texte : Habiter le monde.
  • Proposition d’écriture :Vous ou votre personnage êtes projeté dans un environnement – naturel, social, culturel – qui ne vous est pas familier. Vous éprouvez une peur qui n’aurait pas été ressentie si vous aviez été dans votre environnement habituel. Ou au contraire, vous êtes saisi par un enthousiasme, une joie, un étonnement que vous n’auriez pas ressenti chez vous. Vous mesurez la distance (ou/et la proximité) entre ce monde étranger et le vôtre manifestée par l’ampleur de votre réaction. Faites-nous partager…
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